Les sources écrites
Al-Bakrī a été le premier à faire mention du Mali, qu’il appelle Malel, et du royaume de Do au XIe siècle. « Les Nègres Adjemm, nommés Nounghar-mata (Wangara), sont négociants et transportent la poudre d’or d’Iresni dans tous les pays. Vis-à-vis de cette ville, sur l’autre côté du fleuve (Sénégal), est un grand royaume qui s’étend sur l’espace de huit journées et dont le souverain porte le titre de dou [do]. Les habitants vont au combat armés de flèches. Derrière ce pays, il y en a un autre nommé Malel, dont le roi porte le titre d’El-Moslemani 1. » Un siècle plus tard, Al-Idrīsī reprend les informations d’Al-Bakrī et y ajoute des détails intéressants. Selon lui, au sud de Barisa (Iresni d’Al-Bakri ), se trouvait le pays des Lem-Lem ; les gens de Takrūr et de Ghana y faisaient des incursions pour se procurer des esclaves ; le géographe arabe mentionne deux villes : Malel et Do 2 ; elles sont séparées par quatre jours de marche.
Ces deux auteurs nous montrent deux entités politiques : Malel ou Mand et Do ; tous deux font mention des commerçants wangara. Il est intéressant de noter, avec Al-Idrīsī, que les gens de Ghana et de Takrūr faisaient des raids chez les païens pour capturer des prisonniers et les vendre comme esclaves ; dans le même passage, Al-Idrīsī note que les Lem-Lem se faisaient des marques sur le visage (il s’agit des stigmates ou des scarifications) ; il reste que, par maints détails, les descriptions s’appliquent aux populations du Haut-Niger Sénégal 3.
Les sources orales
Elles nous permettent de connaître de l’intérieur l’histoire de la région ; la collecte se poursuit dans toute l’aire de la savane depuis deux décennies.
Il existe plusieurs centres ou « écoles » de traditions orales en pays mandenka ; parmi celles-ci, citons Keyla, près de Kangaba, tenue par les griots du clan Jabate ; Nagasola ; Jelibakoro ; Keita ; Fadama, etc...4 (voir carte). Les traditions enseignées dans ces écoles tenues par des « maîtres de la parole » ou belentigi sont les variantes du corpus de l’histoire du Mali, centrée sur le personnage de Sunjata Keita. À quelques détails près, on retrouve d’une « école » à l’autre les points essentiels ayant trait aux origines du Mali et aux faits d’armes du fondateur de l’empire.
©Les chansons traditionnelles les plus importantes

Ces sources confirment l’existence de deux royaumes au départ : le royaume de Do et celui de Kiri ou Manden. Ce dernier nom a désigné par la suite l’ensemble des pays maninka. Le royaume de Do ou Dodugu était peuplé par le clan des Konde, alors que les Konate et les Keita occupaient le pays de Kiri (Manden). Le Dodugu était situé au nord de Kiri ; le clan des Kamara avait pour villes principales Sibi et Tabön : la rive droite du Niger fut progressivement conquise par ce clan ; les Traore, quant à eux, occupaient une partie de Kiri, mais le plus grand nombre vivait dans la province qui sera appelée plus tard Gangaran.
Le puissant royaume du Dodugu comptait douze villes (que la tradition n’énumère pas). La rive droite du Niger, ou Bako, ou Mane, comptait quatre villes 5. Ainsi, les traditions historiques du pays confirment les informations de nos auteurs, à savoir l’existence d’au moins deux royaumes : le Do et le Malel (Do et Kiri pour la tradition). L’unité sera faite par le Malel et le nom du Do va disparaître.
Al-Bakrī place la conversion du roi du Malel à l’islam avant la chute de Kumbi, mais c’est Ibn Khaldūn qui nous a transmis le nom de ce roi ; il s’appelait Barmandana ou Sarmandana 6. On peut l’identifier avec un Mansa Beremun de la liste des rois mandenka recueillie à Kita par Massa Makan Diabaté 7. Tous les petits royaumes du haut Niger furent unifiés par les rois du clan des Keita entre les XIe et XIIe siècles. Selon Ibn Khaldūn, le roi Barmandana se convertit à l’islam et fit le pèlerinage à La Mecque. On peut supposer que, au temps de ce roi, le Do et le Kiri avaient fusionné en un royaume ou, alors, que le Malel était assez puissant pour que le roi entreprît le voyage à La Mecque.
Les Keita, fondateurs du Mali, rattachent leur origine à Jon Bilali ou Bilal ben Rabah, compagnon du Prophète Muḥammad et premier muezzin de la communauté musulmane 8. Lawalo, fils du muezzin, serait venu s’établir au Manden où il aurait fondé la ville de Kiri ou Ki 9.
Ce Lawalo eut pour fils Latal Kalabi, lui-même père de Damal Kalabi, qui eut pour fils Lahilatul Kalabi. Celui-ci fut le premier roi du Manden à faire le pèlerinage à La Mecque. Le petit-fils de ce dernier, appelé Mamadi Kani, fut un « maître chasseur» 10. C’est lui qui étendit le royaume des Keita sur l’ensemble Do, Kiri, Bako et le Bure (« Bouré »). La plupart de ces rois furent de grands chasseurs ; il semble bien que la première force militaire du Manden fut constituée par des chasseurs 11. En pays maninka, jusqu’à une date récente, les chasseurs formaient une association très fermée, qui avait la réputation de posséder beaucoup de secrets de la brousse et de la forêt ; le titre de simbon ou « maître chasseur » était fort recherché. Les chasseurs, selon la tradition, furent les premiers défenseurs des communautés villageoises. Mamadi Kani les regroupa pour constituer une armée. Il fit appel à ceux des clans kamara, keita, konate et traore, etc. On peut situer le règne de Mamadi Kani vers le début du XIIe siècle. Il eut quatre fils dont simbon Bamari Tañogokelen, qui eut pour fils Mbali Nene, dont l’arrière-petit-fils, Maghan Kön Fatta ou Frako Maghan Keñi, fut le père de Sunjata Keita, le conquérant fondateur de l’empire du Mali. Maghan Kön Fatta régna au début du XIIIe siècle — le Soso était alors en pleine expansion avec la dynastie des Kante. Après sa mort, son fils aîné, Mansa Dankaran Tuman, monta sur le trône, mais Sumaoro Kante, roi de Soso, annexa le Manden.
Ainsi, selon la tradition 12, seize rois précédèrent Sunjata Keita sur le trône. Dans les listes de ces rois, on trouve des différences d’une « école » à l’autre ; celle fournie par Kele Monzon de Kita mentionne, comme on sait, un Mansa Beremun, que nous avons identifié au Barmandana (ou Baramandana) d’Ibn Khaldūn. Les traditions orales de Siguiri donnent le nom de Lahilatul Kalabi au premier roi manden qui fit le pèlerinage à La Mecque. Toutes les traditions s’accordent cependant pour dire que les premiers rois furent des « maîtres chasseurs » ou simbon ; toutes mettent l’accent sur l’introduction très précoce de l’islam au Manden.
Les chasseurs ont joué un rôle de premier plan aux origines du Mali ; la mère de Sunjata Keita avait été donnée en mariage à Maghan Kön Fatta par des chasseurs du clan Traore 13. Les membres de ces clans dominaient un vaste pays, le Gangaran, au nord-ouest du Bure, qui fut annexé au Manden peu avant le règne de Frako Maghan Keñi.
L’union des clans maninka
Sous le règne de Mansa Dankaran Tuman, les Maninka se soulevèrent une fois de plus contre l’autorité de Sumaoro Kante ; devant la dérobade du roi, ils firent appel, comme nous l’avons vu, à son frère Sunjata Keita. La guerre qui opposa le Manden aux Sosoe se situe entre 1220 et 1235.