Né vers 1830 à Sanankoro au Mali, Samory Touré opta pour une stratégie d’affrontement plutôt que d’alliance ; bien qu’il eût aussi recours à la diplomatie, il mit surtout l’accent sur la résistance armée. En 1881, il avait déjà fait de « la partie méridionale des savanes soudanaises, tout au long de la grande forêt ouestafricaine », entre le nord de l’actuelle Sierra Leone et la rivière Sassandra en Côte-d’Ivoire, un empire unifié sous son autorité incontestée. À la différence de l’empire toucouleur, l’empire manden était encore dans une phase ascendante en 1882 quant eut lieu la première rencontre entre Samori Touré et les Français. La conquête de cette région avait également permis à Samori Touré de se forger une puissante armée relativement bien équipée à l’européenne. Cette armée était divisée en deux corps, l’infanterie (ou sofa) forte en 1887 de 30 000 à 35 000 hommes, et la cavalerie qui ne comptait pas plus de 3 000 hommes à la même époque. L’infanterie était divisée en unités permanentes de 10 à 20 hommes dites sẽ [pieds] ou kulu [tas], commandées par un kuntigi [chef], 10 sẽ formant un bolo [bras] placé sous le commandement d’un bolokuntigi21. La cavalerie était divisée en colonnes de 50 hommes qu’on appelait des Sεrε.
Les bolo, principale force offensive, se déplaçaient sous l’escorte des Sεrε. Comme il s’agissait d’unités permanentes, il s’établissait des liens d’amitié, d’abord entre les soldats, et de loyauté à l’égard de leur chef local et de Samori Touré. Cette armée ne tarda donc pas à prendre « un caractère quasi national en raison de son homogénéité très remarquable ». Mais ce qui distinguait surtout l’armée de Samori Touré, c’était son armement et son entraînement. Contrairement à la plupart des armées d’Afrique occidentale, l’armée de Samori Touré était pratiquement constituée de professionnels armés par les soins de leur chef. Jusqu’en 1876, les troupes de Samori Touré étaient équipées de vieux fusils que les forgerons locaux étaient capables de réparer. Mais, à partir de 1876, Samori Touré entreprit de se procurer des armes européennes plus modernes, essentiellement par l’intermédiaire de la Sierra Leone, pour les étudier attentivement et décider quelles étaient celles qui étaient le mieux adaptées à ses besoins. C’est ainsi qu’à partir de 1885, il décida de remplacer les chassepots, dont les cartouches trop volumineuses étaient vite abîmées par l’humidité de la région, par des fusils Gras mieux adaptés au climat avec leurs cartouches plus légères et par des Kropatscheks (fusils Gras à répétition). Il devait rester fidèle à ces deux modèles pendant toute la durée des années 1880, tant et si bien qu’il finit par disposer d’équipes de forgerons capables de les copier dans les moindres détails.
À partir de 1888, il fit également l’acquisition de quelques fusils à tir rapide et, en 1893, il disposait d’environ 6 000 fusils, qu’il utilisa jusqu’à sa défaite en 1898. En revanche, il ne disposa jamais de pièces d’artillerie, ce qui constituait un grave handicap dans ses campagnes contre les Français. Ces armes furent acquises grâce à la vente de l’ivoire et de l’or extrait des vieux champs aurifères de Buré, au sud du pays, déjà exploités à l’époque médiévale, et à l’échange d’esclaves et de chevaux dans la région du Sahel et du Mosi. Bien équipée, l’armée de Samori Touré était également bien entraînée et disciplinée, et se caractérisait par son esprit de corps et son homogénéité. Il ressort de ce qui précède que Samori Touré était presque au faîte de sa puissance lorsqu’il entra pour la première fois en contact avec les Français en 1882. En février de cette année, il reçut la visite du lieutenant Alakamesa, qui lui notifia l’ordre du Commandement supérieur du Haut Sénégal-Niger, de s’éloigner de Kenyeran, important marché qui barrait à Samori Touré la route de Mandigo. Comme il fallait s’y attendre, Samori Touré refusa. Cela lui valut une attaque surprise de la part de Borgnis-Desbordes, qui dut battre précipitamment en retraite. Le frère de Samori Touré, Kémé-Brema, attaqua les Français à Wenyako, près de Bamako, en avril. D’abord vainqueur le 2 avril, Kémé-Brema fut battu dix jours plus tard par des troupes françaises beaucoup moins importantes. Dès lors, Samori Touré évita l’affrontement avec les Français et dirigea son action vers le Kenedugu.
©Almamy Samory Touré

En 1885, quand Combes occupa le Buré, dont les mines d’or étaient importantes pour l’économie de son empire, Samori Touré comprit l’ampleur de la menace et se résolut à déloger les Français par la force. Trois armées, celle de Kémé-Brema, de Masara Mamadi et la sienne, furent chargées de l’exécution de cette tâche. Par un vaste mouvement en tenailles, le Buré fut facilement reconquis et les Français durent déguerpir sous peine d’être encerclés. Samori Touré décida alors de cultiver ses relations avec les Britanniques de la Sierra Leone. Après avoir occupé Falaba en 1884, il dépêcha des émissaires à Freetown, proposant au gouverneur de placer tout le pays sous la protection du gouvernement britannique. Cette offre n’était qu’une manœuvre de la part de Samori Touré, qui n’entendait nullement aliéner sa souveraineté, mais la faire respecter par les Français en s’alliant à un gouvernement puissant.
La manœuvre ayant échoué, Samori signa avec les Français, le 28 mars 1886, un traité aux termes duquel il acceptait de faire revenir ses troupes sur la rive droite du Niger, mais maintenait ses droits sur le Buré et les Manden de Kangaba. Dans un autre traité avec les Français signé le 25 mars 1887, qui modifiait celui de l’année précédente, Samori cédait la rive gauche du fleuve et acceptait même de placer son pays sous protectorat français. Samori Touré avait peut-être signé ce nouveau document en pensant que les Français l’aideraient contre Tieba, le faama (roi) de Sikasso, qu’il attaqua en avril 1887 avec une armée de 12 000 hommes. Or les Français souhaitaient simplement empêcher toute alliance entre Samori Touré et Mamadou Lamine, leur adversaire d’alors.
Lorsque Samori constata qu’au lieu de se comporter en alliés et de l’aider, les Français encourageaient la dissidence et la rébellion dans les régions nouvellement soumises et cherchaient à l’empêcher de se ravitailler en armes auprès de la Sierra Leone, il leva le siège en août 1888 et se prépara au combat contre l’envahisseur. Il réorganisa l’armée, conclut avec les Britanniques en Sierra Leone, en mai 1890, un traité l’autorisant à acheter des armes modernes en quantités croissantes au cours des trois années suivantes, et entraîna ses troupes à l’européenne. Des sections et des compagnies furent créées. Sur le plan de la tactique militaire, il décida d’opter pour la défensive. Bien sûr, il ne s’agissait pas de se mettre à l’abri des murailles des tatas car l’artillerie ne lui aurait laissé aucune chance de succès. Sa stratégie consistait à imprimer une grande mobilité à ses troupes pour mieux surprendre l’ennemi et lui infliger de lourdes pertes avant de disparaître.
Archinard, qui s’était emparé de Ségou en mars 1890, attaqua Samori Touré en mars 1891, dans l’espoir de le battre avant de passer le commandement du Haut Sénégal-Niger à Humbert. Il pensait qu’au premier choc l’empire de Samori Touré s’écroulerait. Mais, bien que son offensive aboutît à la capture de Kankan le 7 avril et à l’incendie de Bisandugu, elle eut l’effet contraire, car elle constitua pour Samori Touré un avertissement salutaire et l’incita à poursuivre ses offensives contre les Français à Kankan, ce qui lui permit de les battre à la bataille de Dabadugu le 3 septembre 1891. C’est en 1892 qu’eut lieu le principal affrontement entre les Français et Samori Touré. Désireux d’en finir, Humbert envahit la partie centrale de l’empire en janvier 1892 à la tête d’une armée de 1 300 fusiliers triés sur le volet et de 3 000 porteurs. Samori Touré commandait personnellement une armée de 2 500 hommes d’élite pour faire face à l’envahisseur. Bien que ses hommes « se batissent comme des diables, défendant pied à pied chaque pouce de terrain avec une énergie farouche », pour reprendre les mots de Person, Samori fut battu et Humbert put s’emparer de Bisandugu, Sanankoro et Kerwane. Soulignons toutefois que Humbert lui-même devait avouer que le résultat était bien maigre, eu égard aux lourdes pertes qu’il avait subies. De plus, Samori Touré avait ordonné aux populations civiles de faire le vide devant les troupes françaises.
Cependant, Samori Touré ne nourrissait guère d’illusions. Les violents combats livrés contre la colonne Humbert, qui lui avaient coûté un millier de combattants d’élite alors que les Français ne perdaient qu’une centaine d’hommes, l’avaient persuadé qu’un nouvel affrontement avec les Français était absurde. Il ne lui restait donc plus qu’à se rendre ou à se replier. Refusant de capituler, il décida d’abandonner sa patrie et de se replier à l’Est pour y créer un nouvel empire hors de portée des Européens. Poursuivant sa politique de la terre brûlée, il entreprit sa marche vers l’Est en direction des fleuves Bandama et Comoe. Bien qu’il eût perdu en 1894, avec la route de Monrovia, la dernière voie d’accès lui permettant de se procurer des armes modernes, il n’abandonna pas pour autant le combat.
Au début de 1895, il rencontra et repoussa une colonne française venant du pays baulé sous le commandement de Monteil et, entre juillet 1895 et janvier 1896, il occupa le pays abro (Gyaman) et la partie occidentale du Gondja. À cette époque, il était parvenu à se créer un nouvel empire dans l’hinterland de la Côte d’Ivoire et de l’Ashanti. En mars 1897, son fils SarankenyiMori rencontra et battit près de Wa une colonne britannique commandée par Henderson, pendant que Samori Touré lui-même attaquait et détruisait Kong en mai 1897 et poursuivait son avance jusqu’à Bobo, où il rencontra une colonne française commandée par Caudrelier.
Pris entre les Britanniques et les Français, et après avoir vainement cherché à les brouiller en cédant à ceux-ci le territoire de Bouna convoité par ceux-là, Samori Touré décida de retourner au Libéria, chez ses alliés toma. Alors qu’il était en route, Gouraud l’attaqua par surprise à Gelemu le 29 septembre 1898. Capturé, Samori Touré fut déporté au Gabon, où il mourut en 1900. Sa capture mettait un terme à ce qu’un historien moderne a appelé « la plus longue série de campagnes contre le même adversaire dans toute l’histoire de la conquête française du Soudan».